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La perte éprouvée par notre Société en la personne du Dr Joseph Manon  est des plus cruelles. C’était un des entomologistes les plus fervents, un des naturalistes les plus distingés parmi ceux qu’on est convenu d’appeler des amateurs et qui rendent tant de services à la science par leurs multiples observations sur le terrain.
Il était d’origine charentaise, né à Lagarde, près de Montlieu, le 15 janvier 1862. Il fit d’excellentes études secondaires, puis commença sa préparation médicale à Toulouse, où il fut interne des hôpitaux en 1885-86. C’est à Bordeaux qu’il soutint sa thèse de doctorat, avec une étude sur les varices de la langue, préparée dans le service du Dr Moure. Il se tourna dès lors vers la médecine militaire ; entré au Val-de-Grâce en 1886, il en sortait médecin aide-major en 1887. Après de brefs séjours au 70ème, puis au 114ème d’Infanterie, il passe en 1890 au 144ème  à Bordeaux, où il reste jusqu’en 1895. Promu cette année-là médecin-major  de 2ème  classe, il est affecté au 123ème à la Rochelle.
Mais, comme il demande à faire campagne, il est nommé, en 1896, chef de service du 5ème bataillon d’Afrique à Batna, sous les ordresdu Commandant Drude ; il fait partie de la colonne d’appui de la mission Foureau-Lamy dans le Sahara en 1898.

 
Joseph MANON (1862-1932)
Affecté en 1899 à l’Hôpital du Belvédère à Tunis, il rentre en France en 1900 pour être successivement chef de service au 138ème d’Infanterie, puis au  13ème cuirassiers.
Promu médecin-major de 1ère classe en 1906, il va, à Montargis, cumuler les fonctions de médecin-chef de l’Hôpital militaire et du 82ème d’Infanterie.
En 1907, il obtient sa mise à la retraite après 25 ans de service. Il séjourne quelque temps à Paris où il se spécialise dans la dermatologie et la stomatologie, puis revient à Bordeaux pour y installer un cabinet médical.
C’est alors qu’il entre en relations avec notre Société, dans laquelle il va prendre part de façon régulière aux assemblées générales du dimanche et participer souvent aux réunions mensuelles du jeudi, lorsque les occupations de sa clientèle le lui permettront. Il entre également à la Société Linnéenne, dont il est un des assidus.
Lors de la mobilisation générale, il est rappelé à l’activité, au 114ème Régiment territorial d’Infanterie ; mais, blessé à la suite d’un accident de cheval, il doit, à son grand regret, être désormais affecté à des formations de l’arrière, où il rend d’ailleurs les plus grands services. Il est successivement médecin-chef à Bayonne, Royan, Toulouse, Luchon.
Il est heureux, à la fin de la guerre, de partager à nouveau son existence entre la profession médicale, qui l’aide à vivre, et l’histoire naturelle, qui le passionne de plus en plus.
Une grave maladie, provoquée par l’accident dont il a été victime, l’oblige pendant des années à suivre un régime sévère, mais elle lui permet de vaquer à ses occupations, de travailler, d’écrire, de voyager même. Il mène une vie active, mais après quelques avertissements, une fatale complication le ravit à l’affection de sa femme, de ses parents et de ses amis à la fin de juin 1932.
Par suite de ses volontés dernières, les obsèques ont eu lieu dans l’intimité et nous n’avons connu sa mort qu’après la cérémonie, ce qui nous a privés de lui rendre, sur son tombeau, l’hommage de gratitude qui lui était dû.
Le Docteur Manon était chevalier de la Légion d’honneur et il avait reçu jadis une médaille d’honneur en argent pour avoir, comme étudiant en médecine, fait preuve du plus grand dévouement lors de l’épidémie cholérique de 1884 à Toulouse.
Venu à nous dès 1908, sur présentation faite par son ami M. l’abbé de Labonnefon, devenu depuis chanoine à la Rochelle, il nous apparut tout de suite comme un collègue actif et dévoué. Seule l’heure de nos séances l’empêchait d’assiste à toutes. Il aimait à y prendre part et y apportait le fruit de ses observations personnelles.
Une des questions qui lui tinrent le plus à cœur, parmi celles qui ont fait l’objet de nos discussions, fut l’attaque des bouchons de liège par les Tinéides, principalement par Oenophila V. flavum. Il faisait partie de la commission instituée au sein de notre Société et dont je fus moi-même le rapporteur.
Il nous donna ensuite des notes précieuses sur le rôle des insectes stercoraires dans la propagation des maladies (en 1909), les chasses de lépidoptères (1921), Liparis dispar et quelques unes de ses variétés (1926).
En 1921, au moment où je partais pour une mission en Espagne, il me remplaça pour étudier les dégâts causés par le Sirex gigas dans le revêtement de plomb des réservoirs de l’usine de la Souys. Il nous a donné à ce propos une intéressante mise au point.
En 1930, nous avons publié, dans notre revue, un nouvel article de lui sur l’Oenophila  v. flavum mineuse de bouchons.
Nombreuses sont les notes qu’il a données à la Société Linnéenne de Bordeaux. Elles visent notamment Leptidea brevipennis (1911), Lasiocampa potatoria (1922), Colias edusa et ses variétés (1925, 1927) ; elles concernent aussi les diverses observations faites par lui sur la faune des Lépidoptères de la Gironde et de la Charente – Inférieure.
S’étant occupé des Reptiles, surtout des Ophidiens, dont il avait recueilli une collection au cours de ses voyages, il nous a présenté en 1931 une étude sur les serpents venimeux de France et d’Algérie, à propos de piqures de Vipère observées à titre médical.
Enfin, peu de temps avant sa mort, il nous a fait une communication d’un haut intérêt pratique sur la manière de préparer les chenilles pour les collections. Il s’est attaché à nous montrer par quels artifices il arrivait à redonner à la dépouille, une fois vidée, puis soufflée, des chenilles vertes, la teinte normale des sujets vivants. Les échantillons qu’il présentait à l’appui de sa démonstration, et que Mme Manon a bien voulu nous offrir en souvenir de lui, demeurent les témoins de son habileté d’entomologiste préparateur.
Cette habileté lui a permis d’établir une des plus belles collections d’insectes que nous ayons eu l'occasion d’admirer. Elle était surtout composée de Lépidoptères, mais comprenait aussi beaucoup de Coléoptères, les uns et les autres provenant en partie de ses chasses, en partie d’échanges. Il s’appliquait à la recherche des gites des papillons rares, s’attachait à collectionner des variétés, élevait des chenilles, recueillait des parasites, et il était expert dans l’art difficile de la présentation, cet art délicat qui nous a valu sa toute dernière causerie.
Je n’oublie pas le dévouement qu’il mettait à nous fournir des sujets pour aider à l’établissement de collections scolaires et la peine qu’il a prise pour ranger lui-même une partie de noc cadres, qu’il se proposait d’enrichir au dépens des siens.
Il a été et il aurait été encore davantage dans l’avenir un bon ouvrier de notre œuvre.
Les Sociétés Scientifiques de Bordeaux, Société Linnéenne et Société de Zoologie Agricole, de même que la Société d’histoire naturelle de la Rochelle, eurent en lui un précieux collaborateur ; aussi lui garderont-elles une place de choix dans le grand livre du souvenir.
Le Dr Manon était de ces collègues qu’une compagnie de naturalistes s’honorera toujours de compter parmi ses adhérents. La place qu’il occupait dans les rangs de la nôtre est très large. L’hommage que nous lui rendons doit être à sa mesure.
Saluons sa mémoire comme celle d’un de nos meilleurs.
De Dr.  J. FEYTAUD.
Extrait de : revue de zoologie agricole et appliquée, N° 4, avril 1933

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